03 mai 2024
Bulletin interne de l'Institut Pasteur
Depuis 2016, date à laquelle le protocole de Nagoya a été transposé dans le droit français, les utilisateurs de ressources génétiques collectées sur le territoire français, dont font partie les chercheurs de l’Institut Pasteur, se sont retrouvés concernés et impactés par son application souvent restrictive. Si l’utilisation des ressources génétiques microbiennes a disposé, en France, d’une dérogation aux obligations du protocole, ce n’est plus le cas depuis 2022. Cette situation a rapidement enfermé les « utilisateurs » de ces ressources dans des cadres contraints et souvent trop restreints. Très récemment, les équipes du centre de ressources biologiques de l’Institut Pasteur (CRBIP) ont permis de débloquer cette situation afin, notamment, que les chercheurs et les biobanques microbiennes puissent de nouveau publier le nom de nouvelles espèces procaryotes d’origine français, et que ces noms soient validés par le comité international en charge de leur nomenclature. L'occasion de protéger les ressources génétiques sans entraver la recherche sur la diversité microbienne.
Le protocole de Nagoya (PN), texte international adopté en 2010 à l’issue de la Conférence sur la Diversité Biologique (CDB) des Nations Unies et entré en vigueur en 2014, pose le principe selon lequel chaque pays est « souverain » sur les ressources génétiques (RG) collectées sur son territoire. À ce titre, le pays est légitime à contrôler l’accès à ses RG et lorsqu’il octroie cet accès, à demander un retour juste et équitable des avantages et/ou bénéfices découlant de l’utilisation desdites RG : c’est ce qu’on appelle l’Accès et le Partage des Avantages (APA) qu’ils soient monétaires, scientifiques ou encore liés à de la propriété intellectuelle.
Chaque pays est libre de mettre en place, comme il le souhaite, les modalités de l’APA dont les grands principes sont posés par le PN. Cependant, les réglementations nationales ou régionales liées à l’application du PN se révèlent souvent trop restrictives. Cette situation, combinée à un manque de clarté quant aux modalités d’application de ces règlementations, conduit parfois à la sous- ou la non-utilisation de microorganismes collectés dans différents pays.
La France, à l’inverse de la majorité des pays européens, a décidé de réguler l'accès aux ressources génétiques (RG) à travers la Loi n°2016-1087 du 8 août 2016 en octroyant toutefois une dérogation pour les microorganismes alors non assujettis au PN. Cette exception s’est achevée en septembre 2022 et, depuis cette date, toute personne, française ou étrangère, qui souhaite accéder aux ressources microbiennes collectées sur le sol français doit donc poursuivre des démarches d’APA pour respecter les obligations du PN.
Les biobanques microbiennes, quant à elles, se retrouvent indirectement concernées par l’application du PN car, même si elles n’ont pas vocation à « utiliser » elles-mêmes les RG microbiennes dans des projets de recherche, elles sont en charge de les collecter, les préserver, les caractériser taxonomiquement par rapport à leur identité et phylogénie. Elles redistribuent également des souches authentifiées aux chercheurs. Les biobanques jouent donc le rôle « d’intermédiaire ». Les biobanques sont aussi souvent amenées à publier sur la taxonomie de nouvelles espèces, à l’instar des chercheurs travaillant en taxonomie et nomenclature procaryote. Pour que le nom de toute nouvelle espèce soit valide, la publication se fait dans le journal scientifique de référence « International Journal of Systematic and Evolutionary Microbiology (IJSEM) ». C’est l’étape préalable nécessaire pour la communication de nouveaux taxons au sein de la communauté scientifique amorçant des études ultérieures approfondies de ces souches, qui peuvent mener à des découvertes et des applications diverses, dont des applications pour la santé humaine.
Du fait d’un manque de clarté des réglementations françaises, jugées trop restrictives quant à l’accès et à l’utilisation de microorganismes d’origine française, le journal IJSEM avait bloqué la publication de toute nouvelle espèce d’origine française. Certaines collections étrangères ont également commencé à hésiter sur la réception des dépôts de souches françaises. Face à ce constat, les équipes du CRBIP ont entrepris une action de communication et d’explication pour faciliter l’utilisation du matériel génétique issus de microorganismes sans entraver la législation. Les équipes ont ainsi échangé avec le ministère de la Transition écologique et de la cohésion des territoires (point focal de la France pour l'APA), avec l’« International Committee for the Systematics of Prokaryotes » (ICSP), entité en charge de l’élaboration de règles de nomenclature procaryote incluses dans l’« International Code of Nomenclature of Prokaryotes » (ICNP). Elles ont aussi démarché les éditeurs du journal IJSEM. Grâce à cette triple intervention, les chercheurs peuvent de nouveau publier et communiquer sur de nouvelles espèces d’origine française et les faire valider selon le code ICNP. Pour compléter cette démarche, le CRBIP, avec des collaborateurs de l'INRAE, a publié un article dans le journal IJSEM pour clarifier l'application du PN en France.
Un des rôles majeurs des biobanques microbiennes, en tant qu’infrastructures de recherche, vise à faciliter la tâche des chercheurs en tant qu’« utilisateurs », notamment en leur communiquant les détails des démarches administratives à effectuer avant de lancer les travaux de recherche. Ce point est un enjeu véritable pour que les scientifiques puissent utiliser au mieux les ressources microbiennes pour leurs travaux tout en remplissant leurs obligations dans le cadre du PN et des réglementations françaises et européennes.
L’initiative du CRBIP a permis d’accompagner plusieurs chercheurs de l’Institut Pasteur. Elle a contribué à donner plus de clarté sur la réglementation française d’APA et sur les exceptions à son application, ce qui servira aussi aux chercheurs français et internationaux, biobanques, industriels et « policy makers ».
Si vous avez des questions sur le protocole de Nagoya ou si vous souhaitez en savoir plus sur ce sujet, n’hésitez pas à prendre contact avec les équipes du CRBIP : crbip-pmo@pasteur.fr.
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