PASTEUR2030

Entretien avec les porteurs de l’axe prioritaire 2 « Transitions environnementales et santé »

En amont du Town Hall qui aura lieu le 30 juin prochain, la direction générale et la direction de la communication et des affaires publiques vous proposent de partir à la rencontre des chercheuses et chercheurs responsables des priorités scientifiques du plan stratégique afin d’en savoir plus sur leur rôle, les enjeux de leur priorité, les principaux projets mais aussi les temps forts à venir.

Entretien avec les porteurs de l’axe prioritaire 2 « Transitions environnementales et santé »

Philippe Bastin

responsable de l’unité Biologie cellulaire des trypanosomes 
Anna-Bella Failloux
responsable de l'unité Arbovirus et insectes vecteurs
Arnaud Fontanet
responsable de l'unité Épidémiologie des maladies émergentes

 

Pouvez-vous nous présenter la priorité scientifique qui vous a été confiée au sein du plan stratégique Pasteur 2030 ? 

Arnaud Fontanet : Depuis le début des années 2000, les maladies infectieuses émergentes (MIE) se multiplient. Au cours des vingt-cinq dernières années, nous avons connu une dizaine d'émergences notables ; parmi elles, j'en citerai sept qui ont été vraiment impactantes : les trois dues à de nouveaux Betacoronavirus - l'épidémie de SRAS partie de Chine en 2003, celle de MERS dans les pays du Golfe en 2012 et le Covid-19 sept ans plus tard -, auxquelles il convient d'ajouter la grippe H1N1 en 2009, l'épidémie d'Ebola en Afrique de l'Ouest en 2014, celle de Zika en 2015 et celle de mpox (ex « variole du singe ») en 2022. 

Le phénomène d'émergence lui-même, c'est-à-dire le franchissement par un virus de la barrière d'espèce entre l'animal et l'humain (à distinguer de sa dissémination au sein de l'espèce humaine liée aux échanges et à la mondialisation), est devenu plus fréquent sous les effets conjugués de plusieurs facteurs : les changements des pratiques de chasse et l’introduction de nouvelles espèces animales dans les marchés – on l’a vu avec les élevages de civettes pour alimenter les marchés de Chine lors de l’émergence du SRAS en 2003 ; l’intensification de l’élevage des animaux domestiques, avec les risques de réassortiment de nouveaux virus de la grippe dans les élevages de volailles ou porcins notamment ; la déforestation qui perturbe l'habitat de nombreux espèces animales et a amené en Australie les roussettes (chauves-souris) au contact de chevaux domestiques qui ont ainsi été infectés par le virus de Hendra et l’ont transmis à l’homme. Le réchauffement climatique joue également une part conséquente, en favorisant l’extension de l'aire d’implantation de certains vecteurs, comme les moustiques du genre Aedes (dont les fameux moustiques-tigres).  

L’Institut Pasteur est un acteur de premier plan dans la surveillance, la compréhension et l’étude des infections émergentes, et la réponse aux pandémies. Au sein de la priorité 2 du plan stratégique Pasteur 2030, j’aurai la charge de faciliter les travaux des chercheurs du campus qui s’intéressent aux conditions de ces émergences et leur lien avec les perturbations de l’environnement. Une part importante du travail consistera également à aider les acteurs du campus impliqués dans la réponse aux pandémies à se préparer à la prochaine, car il y en aura malheureusement d’autres. 

Anna-Bella Failloux et Philippe Bastin : Arnaud l’a très bien décrit, au cours des trois dernières décennies, de nombreux pathogènes humains ont émergé par différentes voies de transmission. C’est notamment le cas de la transmission vectorielle sur laquelle nous nous penchons en complément et en relation avec le champ des recherches sur les émergences. Les changements climatiques élargissent les habitats propices à de nombreux vecteurs d’agents pathogènes, comme les moustiques ou les tiques, augmentant l’incidence de maladies telles que le paludisme, la dengue ou la maladie de Lyme dans des régions auparavant non exposées. Nous nous concentrerons pour notre part sur l’étude des maladies sensibles au réchauffement climatique à travers le projet du futur centre dédié à l’étude de ces maladies à transmission vectorielle.   

Le projet d’avoir un bâtiment dédié pour travailler sur les maladies à transmission vectorielle, est venu de la communauté pasteurienne dès 2012. Nous avions fait le constat à cette époque que nous n’avions pas les infrastructures nécessaires pour travailler sur ces maladies, et nous percevions déjà les effets des changements environnementaux et climatiques, mais également les effets sur la distribution des vecteurs. 

Ce constat est d’autant plus d’actualité que les maladies à transmission vectorielle représentent plus de 17% de toutes les maladies infectieuses, impliquant plus de 700 000 décès par an (source OMS), en particulier avec le paludisme ou la dengue.  

 

► Comment l’Institut Pasteur se démarque-t-il de ses concurrents pour aborder des questions de santé à ce point multifactorielles ? 

Anna-Bella Failloux et Philippe Bastin : Aucun doute que certaines des maladies qui émergent ou émergeront de foyers sauvages, à l’issue de bouleversements comme les changements environnementaux ou climatiques, seront à transmission vectorielle. Les agents pathogènes sont en effet des virus, des bactéries, des protozoaires, des filaires qui sont étudiés par de très nombreuses équipes sur le campus. Les vecteurs appartiennent à plusieurs groupes d’arthropodes que nous étudions aussi. Nous avons la chance que les microbiologistes et les entomologistes travaillent ensemble sur un même campus à l’Institut Pasteur.  

L’Institut Pasteur est le premier au monde à avoir une telle couverture sur le nombre de pathogènes, le nombre de vecteurs et la pluridisciplinarité. Nous couvrons les 25 pathogènes identifiés comme étant de transmission vectorielle par l’Organisation mondiale de la santé. L’Institut Pasteur est donc très bien positionné par rapport à ses concurrents et doit impulser une dynamique en formant, en recrutant des scientifiques en entomologie afin de faire face aux maladies à transmission vectorielle. 

La stratégie scientifique du futur centre d’étude sur les maladies à transmission vectorielle poursuit son développement et nous avons fait la cartographie des projets dans le domaine des maladies à transmission vectorielle qui vont intégrer le programme scientifique de ce centre. Cela représente une quarantaine d’entités à l’Institut Pasteur qui travaillent de près ou de loin sur ces maladies. 

L'entomologie médicale est ancrée de très longue date à l’Institut Pasteur, où elle est même devenue une tradition. Au début du 20e siècle, deux chercheurs de l’Institut Pasteur, Alphonse Laveran et Charles Nicolle, tous deux lauréats du prix Nobel de physiologie ou médecine, sont allés sur le terrain au plus près des zones d’émergence, dans les pays du Pasteur Network, pour observer les malades et développer une stratégie de lutte contre le paludisme et le typhus. Durant cette période, les cours et les formations d’entomologistes se déroulaient traditionnellement à l’Institut Pasteur et à l’ORSTOM (Office de la recherche scientifique et technique outre-mer, nommé désormais IRD pour Institut de recherche pour le développement). Le lien était déjà très fort entre l’Institut Pasteur à Paris et les instituts membres du Pasteur Network grâce à ce triptyque essentiel : la recherche fondamentale, la surveillance et le terrain. 

D’ailleurs, Charles Nicolle nous prévenait déjà en 1933 qu’« il y aura des maladies infectieuses nouvelles. C’est un fait fatal » (Destin des maladies infectieuses). Et on observe aujourd’hui qu’une partie non négligeable est à transmission vectorielle. 

Arnaud Fontanet : En réponse à l’accélération des maladies infectieuses émergentes, nous avons les centres nationaux de référence (CNR) en microbiologie et la CIBU (Cellule d'Intervention Biologique d'Urgence) et les collaborations au sein du Pasteur Network qui compte 32 membres répartis dans 25 pays. La force du Pasteur Network, comme partagé par Anna-Bella et Philippe, réside dans sa vaste expertise scientifique multidisciplinaire, son infrastructure de laboratoires de pointe et sa portée mondiale. Dix-sept de ses instituts se situent dans des points chauds d’émergence des maladies infectieuses, dont sept en Afrique subsaharienne. Ces instituts jouent un rôle clé dans la lutte contre les épidémies et hébergent des laboratoires nationaux et des laboratoires de référence de l'OMS pour les principaux agents pathogènes. Ils ont joué un rôle essentiel dans la gestion d'épidémies telles qu'Ebola (2014-2016), la peste pulmonaire (2017), la Covid-19 (2020-2023) et le mpox en Afrique centrale (en expansion géographique depuis 2018). 

Suite à la pandémie de Covid-19, nous nous sommes dit que nous devions apprendre des leçons de cette crise sanitaire majeure pour être mieux préparés pour la prochaine qui nous parait inéluctable. Nous avons ainsi créé l’initiative P3i (Pasteur Pandemic Preparedness initiative) qui se décline autour de 4 piliers :   

- Une anticipation des besoins techniques et en personnel, et une réflexion sur l’organisation managériale et logistique en cas de crise. Nous souhaitons également renforcer nos liens avec les hôpitaux du fait de leur rôle central pour la conduite de recherches cliniques et translationnelles sur les pathogènes émergents ; 

- Un renforcement de nos outils de surveillance et de caractérisation des nouveaux pathogènes via les CNR et la CIBU 

- Notre capacité à développer des contre-mesures biomédicales en cas de pandémie notamment des tests diagnostiques et des vaccins ; 

- Le futur centre qui intégrera l’étude des maladies à transmission vectorielle et qui sera opérationnel en 2028. 
     

Nous avons aussi re-créé la Task Force d’enquête sur les foyers épidémiques (Outbreak Investigation Task Force - OITF). Celle-ci avait été lancée dans les suites de l’épidémie d’Ebola en 2014, avait été mobilisée sur des épidémies de MERS dans les pays du Golfe, des épidémies d’Ebola en Afrique centrale, et l’épidémie de peste pulmonaire à Madagascar en 2017.  Elle avait été mise en sommeil pendant la Covid-19 et nous venons de recruter un épidémiologiste pour la relancer. 

 

► Comment se structure votre travail ? 

Arnaud Fontanet : Le groupe de coordination de la réponse au Covid-19 (la « Task Force ») qui avait été mis en place lors de la pandémie Covid-19 sous la coordination de Christophe d’Enfert, n’a jamais cessé ses activités. Nous continuons de nous réunir régulièrement, et avons étoffé nos effectifs. C’est au sein de ce groupe que se poursuivent les réflexions autour de la préparation du campus à la prochaine crise sanitaire. Nous avons également mis en place des groupes de travail avec les chercheurs du campus concernés sur les deux crises sanitaires en cours, la grippe aviaire et mpox. 

Anna-Bella Failloux et Philippe Bastin : Nous étudions toutes les maladies en lien avec des parasites, des virus ou certaines bactéries tels que la maladie de Lyme, le paludisme, la maladie du sommeil, la leishmaniose, la maladie de Chagas, le chikungunya, la dengue, West Nile et Usutu, etc. 

L’axe 2 du plan stratégique s’inscrit dans la continuité du Labex IBEID (Laboratoire d’excellence en Biologie intégrative des maladies infectieuses émergentes), qui est un programme scientifique regroupant une cinquantaine de laboratoires à l’Institut Pasteur en partenariat avec l’Inserm, l’Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail, l’École nationale vétérinaire d’Alfort, l’Assistance publique - Hôpitaux de Paris et Santé Publique France. Ce Labex vise à développer une structure pour anticiper et lutter contre les maladies infectieuses émergentes (EID). Il a plusieurs programmes pour faciliter la collaboration entre laboratoires et l’émergence de jeunes chercheurs à différents stades de leur carrière. Il met aussi à disposition des financements mobilisables rapidement en cas d’émergence d’un agent pathogène, connu ou moins connu, afin de réagir très vite. 

Nous avons aussi un autre projet en lien avec la présence de la tique en région urbaine qui porte sur le développement d’une valise portable pour pouvoir intervenir rapidement et sonder les endroits où les tiques pourraient être porteuses de différents pathogènes. 

Il est important de noter que les maladies à transmission vectorielle sont aussi en lien avec l'urbanisation et la végétalisation. Avec le changement climatique, les villes se sont réchauffées et ont mis en place de la végétation et des points d’eau pour faire baisser la température, or cela attire tous les insectes et augmente les risques épidémiques. Face à ces potentiels risques d’épidémie de dengue ou de chikungunya, nous devons rester vigilants et collaborer étroitement avec nos partenaires. 
 

 

► Participerez-vous à des projets transversaux ? Si oui, lesquels ? 
 

Anna-Bella Failloux et Philippe Bastin : Les connexions très fortes que nous avons avec le Pasteur Network permettent au quotidien de collaborer et de mutualiser les ressources. L'objectif est de créer un centre de référence pour la recherche sur les maladies à transmission vectorielle et les changements climatiques. 

Nous avons aussi établi des collaborations avec d'autres organisations telles que l'IRD (Institut de recherche pour le développement), le CIRAD (Centre de coopération internationale en recherche agronomique pour le développement), l’ANRS-MIE (ANRS Maladies infectieuses émergentes), l'Inserm, le Labex IBEID et le Pasteur Network, soulignant ainsi l'importance de la lutte contre les maladies à transmission vectorielle avec l’aide de la vaccination et des traitements antiviraux. 

Arnaud Fontanet : Nous venons d’obtenir des financements importants pour un projet transversal d’envergure qui nous permet de participer à la réponse à l’épidémie de mpox en cours en Afrique. En effet, l’état d’urgence de santé publique de portée internationale, déclarée par l’OMS en août 2024, vient d’être renouvelé il y a deux jours devant l’extension de l’épidémie vers l’Afrique de l’Ouest. Ce projet, qui associe sept équipes de recherche du campus à celles de six instituts du Pasteur Network d’Afrique subsaharienne, va nous permettre de contribuer à l’évaluation de nouveaux tests moléculaires et sérologiques, au séquençage des virus et à l’analyse régionale de la circulation de nouveaux variants, et à la caractérisation de ces variants. L’ensemble des données épidémiologiques et virologiques générées par le projet seront enfin intégrées dans des modèles mathématiques pour optimiser l’utilisation des doses vaccinales délivrées dans les pays concernés. Ce faisant, nous allons tester « en vie réelle » tous les dispositifs qui ont été mis en place dans ces pays dans les suites de la pandémie Covid-19 pour faire face à une nouvelle pandémie.   

 

► Quel est votre objectif en tant que responsable de priorité scientifique d’ici 2030 ? Quel résultat comptez-vous atteindre ? 

Arnaud Fontanet : En travaillant sur les épidémies actuelles comme nous le faisons sur mpox, nous nous entrainons pour offrir une meilleure réponse aux prochaines épidémies. Mais il est également important de réfléchir à ce qui pourrait être fait en amont des épidémies pour les prévenir. Pour cela, il faudrait nous doter d’une expertise en écologie des maladies infectieuses, pour mieux comprendre les liens entre agents infectieux et leur environnement. A nous de voir si nous y parvenons via des recrutements ou des collaborations. 

Anna-Bella Failloux et Philippe Bastin : Ce qui est essentiel pour nous, c’est de pouvoir recruter et former une nouvelle génération qui prendra la suite des projets. L’Institut Pasteur doit rester dans une dynamique de recherche et continuer à renforcer son expertise dans la lutte contre les maladies à transmission vectorielle, en anticipant et en réagissant aux émergences, et en collaborant avec le Pasteur Network pour une action coordonnée sur le terrain. 

 

 

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